« Nous
avons été portés aux rangs de l'irrémédiable, nous
sommes matière transportée de douleur, viande hurlante,
squelette rongé par les cris et même nos silences ne sont
encore que plaintes étouffées »
E.M.Cioran
« Peindre pour quitter la peinture », A.RAINER
....Suite à cette courte entrevue
avec la mort durant un coma de plus d'une semaine, et
plusieurs années plus-tard, la rencontre des oeuvres de
Rainer, et surtout son "Cadaveri" me furent un
souffle d'énergie, et comme une piste à suivre dans le
domaine de l'art. A cette époque, je décidai brutalement
de quitter le milieu officiel de l'art, je cessai de créer
ces panneaux picturaux et colorés que je plaçai alors hors
de ma vue, et je m'investis plutôt dans cette création de
collages en teintes grises (voir
BASEMENT), et qui quelque-part, peuvent se
prolonger dans les récents collages digitaux.
C'est pourquoi, il était essentiel
que je présente cet artiste dans le partage de cette
expérience ....
Il est évident que Rainer avait
touché un tabou gigantesque en violentant ces visages de
cadavres par coups de crayons et enfouissement pictural. A
cette époque au centre Beaubourg, je regardais ces oeuvres
avec une amie et qui se trouva mal et n'osait se trouver
physiquement dans le champs de vision des panneaux. Sa peur
de la mort se traduisait par un malaise ....
Aussi, je me
souviendrai toujours d'elle, s'inclinant lorsqu'elle
risquait d'être devant les grand panneaux représentant les
cadavres qu'avait raturés Arnulf Rainer, avec cette crainte
d'être vue
et touchée par eu .... Lorsque nous fûmes dehors, elle me
confia, que ce genre d'artistes devrait être interdit
d'exposer, voir censuré. L'on sait qu'Arnulf Rainer à
son époque, eut déjà à faire avec les autorités
autrichiennes.
Nous allâmes voir une autre
exposition, celle-ci, d'un surréaliste béat et dont j'ai
oublié le nom et les oeuvres. Je m'assis sur une chaise,
tout en "revisualisant" et revivant les oeuvres de Rainer.
J'ai écrit ici, ce texte
concernant mes impressions. Son travail me fut révélateur
mais il n'est qu'une suite d'éléments et qui m'ont interpellée
suite à cette "near death experience". Aussi,
c'est un partage que de présenter un artiste et qui me fut
alors un écho
"
..................... C'est le refus du tabou et
qui devient insolent à la morale, qui prime dans les
travaux de Rainer et d'avantage dans sa série "Cadaveri",
"Hiroshima" et autres. La photographie devient
alors le corps outragé et violenté car il ne correspond
pas à l'exigence de notre existence "conformisée".
Les
masques mortuaires de personnages historiques s'endormant
paisiblement dans la froideur de la mort, sont dénoncés
dans leur quiétude, insultant le mensonge sociale, qui
désire que la mort soit un profond et indolore sommeil de
marbre ou de pierre. Les visages sont agressés et raturés
par l'enfouissement des traits et tâches, comme révélant
la pourriture, la décomposition et le fourmillement des
vermines à-travers la peau. Mais ce que je ressens, est
aussi, un grand effort de communication avec ce personnage
mort, comme un dialogue, mais de-même, l'impuissance et la
révolte devant l'être humain déporté dans l'ailleurs, et
l'inacceptation de ce départ vers ce monde dénué
d'émotions où le corps se refroidit jusqu'aux extrémités
physiques et émotionnelles. Ce corps mort ne sourira plus,
ne bougera plus, ne répondra plus à son prénom, à
l'amour et la haine des proches, et c'est ici, par ces
enfouissements, recouvrements, et raturés, que le corps peut s'échapper de
l'informe, de l'illimité, et n'est plus cette matière
éteinte et qui ne vibre plus.
En enfouissant ces portraits morts,
il semble que l'on ré/entende leurs cris de souffrance
comme réanimation de leur vie.
A-travers toutes les oeuvres de
Rainer, on peut ressentir une insolence et une révolte
contre l'art officiel et mortifère dans lequel notre
société baigne depuis des siècles, aussi n'hésite t'il
pas à témoigner "gestuellement" des manifestations
d'hostilité aux effigies religieuses, artistiques et
politiques .... Jusqu'à aboutir à cette plénitude d'être
un artiste pour mépriser l'art.
Lorsque je ressens le travail et la
quête de Rainer, c'est aussi Artaud que je perçois et qui
dénonce cette vie aliénée et que nous subissons chaque
jour de notre quotidien, enterrant nos vie comme nos morts.
"Nous n'avons pas commencé
d'exister" Artaud.
Par sa peinture, Rainer n'est plus
le messager divin et qui nous conforte dans l'illusoire
quiétude du mensonge et du désir froid d'être sécurisé.
Il réanime nos craintes vis à vis de notre finitude
corporelle mais celle aussi de notre destin, perdu dans ces
phrases de Günther Kunert: "Que l'avenir ne nous
appartient même plus", réveillant en nous l'état
d'occultation vis à vis de la menace nucléaire et qui nous
entoure, accusant le paradoxe de nos vies insensibilisées,
incapables de prendre conscience et d'agir, mais capables de
pouvoir s'adapter à de multiples concessions et compromis,
pour ne pas vouloir voir.
Aussi, j'apprécie beaucoup la
démarche courageuse de Rainer dans ce sens. Bafouant les
tabous, il nous amène à vivre et renaître de nos
conventions mortifères ..."
F.Duvivier Avril 2004
ENGLISH
«.............We're carried us to the rows
of the irretrievable one, we matter transported pain, meat
yelling, skeleton gnawed by the cries and even our silences
are still just stifled complaints»
E. M. Cioran
« To paint to leave the painting », A.RAINER
This is the refusal of the
taboo and that becomes insolent to the moral, that surpasses
in the works of Rainer and more in his series "Cadaveri",
"Hiroshima" and other. The photograph becomes then
the outraged and raped body for it does not correspond to
the authenticity of our conformist existence. The funeral
masks of historic personages going to sleep in the coldness
of the death, are denounced in their quietude, insulting the
social lie, that wants Death to be a deep one and painless
marble sleep.
The faces are attacked and
corrected by the recovery of the features as revealing
rottenness, the decomposition and the invasion of the
vermines through their skin. What I feel, is also, a big
communication effort with this dead personage, as a dialog,
but all the same, the powerlessness and the revolt in front
of the human being prisoner in the elsewhere, and the
inacceptation of this departure towards this empty world of
emotions where the body cools itself until the physical
extremities and emotional.
This dead body will not smile
anymore, will not move anymore, will not reply anymore to
his first name, to the love and hate of the near ones, and
this is here, by these recoveries, that the body can escape
from the
informs, and not more this matter
extinguished and that does not vibrate anymore.
While burying these dead portraits,
it seems that one re/hear their suffering cries as intensive
care of their life.
I think also as through all the
works of Rainer, one can feel an insolence and a revolt
against the official art and death in which our society
sleeps, also he does not hesitate to testify gesturally
hostility demonstrations to effigies more religious, more
artistic and more political.... Until to result in this
fullness to be an artist to despise the art. When I feel
work and the search of Rainer, it is also Artaud which I
perceive and who denounces this alienated life and that we
undergo each day, burying our life like our deaths.
"We did not yet begin to exist"
said Artaud.
By his paint, Rainer is not anymore
the divine messenger and that confused us in the illusory
quietude of the lie and cold desire to be reassured.
It revives our fears lives to lives
of our bodily finitude but the one also of our destiny, lost
in these sentences of Günther Kunert: "As the future
does not belong us even more", awakening in us the
occultation state on the nuclear threat and that surrounds
us, accusing the paradox of our anaesthetized, disabled
lives to take conscience and to act, but to be able to adapt
itself to not want to see.
Also, I appreciate a lot the
courageous goals of Rainer in this direction. Scorning the
taboos, he brings us to live and reemerge of our dead
conventions.
REFERENCES Arnulf RAINER - LINKS TO
ARNULF RAINER
KUBELKA Peter
(film on Arnulf Rainer)
http://perso.wanadoo.fr/cote.court/2002/kubelka.htm
Arnulf Rainer
http://www1.uol.com.br/23bienal/especial/iera.htm
"L'art au
corps, le corps exposé de Man Ray à; nos jours",
Musée de Marseille, Réunion des musées nationaux, 1996.
"Féminin masculin,
Le sexe de l'art", Paris, Editions du Centre Pompidou,
1995.
"L'âme au corps,
arts et sciences, 1793 - 1993", sous la direction de
Jean Clair, Paris , Galerie nationale du grand palais,
Gallimard, 1993.
"Corps et traces dans la
création tchèque", 1962 - 2002, Paris, Hazan, 2002.
Michel Thevoz,
"Le corps
peint", Genève, Editions d'art Albert Skira, 1984.
"Le corps en question"
-
Dossier d'exploitation à; destination des enseignants -
novembre/décembre 1998- Fonds régional d'art
contemporain de Picardie - Amiens.(Artistes concernés: Jean
Charles Blais, James Brown, Erik Dietman, Micha Laury ,
Arnulf Rainer, Anne-marie Schneider).
"Mon corps, c'est
comme je le veux" , dossier conçu par Ivan Briscoe,
Cynthia Guttman et Amy Otchet, in Courrier de
l'UNESCO - Juillet- août 2001.
"Les images du
corps" - Philippe Comar, Editions découvertes-
Gallimard.
"L'homme réparé,
artifice, victoires, défis". Louis Avan et Henri
Sticker, Découvertes, Gallimard 1988.
Beaux arts magazine :
"le corps en morceaux" 06/1992, nº 102.
"Le
siècle du corps", William Ewing, Edition de la
Martinière.
"Art press",
nº spécial mai 2001 : Représenter l'horreur.